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Beurettes, un fantasme français
vendredi 7 juillet 2023
Sarah Diffalah, Salima Tenfiche ; Seuil 2022
Préface d’Alice Zeniter
« Il est important de faire connaître nos personnalités pour affirmer que nous partageons des ressemblances, mais que nous sommes aussi toutes différentes les unes des autres. »
Les deux autrices, l’une journaliste et l’autre universitaire, sont amies depuis l’enfance ; mais jusqu’à leur trentaine, elles n’avaient jamais discuté de la part algérienne de leur identité. « Cette discrétion sur la culture de nos parents était le prix à payer pour être considérées comme (…) de « vraies françaises ». » Elles décident alors de lancer un appel à témoignages ouvert à toutes les femmes d’origine maghrébine âgées de 18 à 50 ans. Malgré leurs efforts pour élargir le panel des réponses (la situation de celles qui leur sont parvenues leur ressemble beaucoup), elles n’ont eu que peu de réponses des femmes de milieux populaires. Le large éventail des témoignages rassemblés leur a pourtant apparu mériter un livre, dans lequel les points de vue rapportés sont éclairés de constats apportés par des travaux sociologiques ou d’analyses d’intellectuels.
Elle récusent le terme « beurette » placé en tête des recherches sur les sites pornographiques. De la « beurette » à la femme voilée le corps et la sexualité des femmes maghrébines apparaît comme un sujet de fantasmes, empreint de la domination coloniale. Mais les femmes qui témoignent montrent comment dans l’espace privé elles s’affranchissent des injonctions pour jouir de leur corps tout en se réappropriant progressivement dans l’espace public les apparences qu’elles avaient appris à cacher. Qu’elles parlent d’ailleurs de leurs sexualités, de leurs couples, de leurs croyances et pratiques religieuses, de leur habitudes alimentaires… leurs témoignages montrent une grande diversité de choix, de convictions et de pratiques. En revanche, elles se rejoignent pour dire que les remarques ou questions même bienveillantes sur leurs origines de la part de personnes qu’elles connaissent à peine les rejettent brutalement à l’écart du groupe.
Le racisme direct, elles ne l’ont pas souvent rencontré ou n’ont pas voulu alors l’identifier, mais elles ont fini par prendre conscience des stratégies qu’elles avaient dû mettre en place pour contrer les discriminations, et par réinterpréter des attitudes qu’elles n’avaient pas voulu comprendre. Cette lutte pour apparaître « normales » a été un obstacle à l’encontre de l’appropriation de la culture de leurs parents et les plus âgées regrettent souvent de ne pas être en mesure de la transmettre à leurs enfants.
L’absence d’une politique publique de mémoire sur la colonisation et la guerre d’Algérie, la faible place tardivement concédée à ces questions dans les programmes scolaires contribuent au sentiment qu’elles ne comptent pas. D’où peut-être l’intérêt qu’elles ont trouvé à la démarche des autrices : « cet ouvrage se devait d’exister pour nous rendre visibles. »
Comme pour être visibles il faut pouvoir être nommées, les autrices proposent de retenir le terme « rebeue », terme familier (et inclusif) employé fréquemment dans les entretiens qu’elles ont menés, alliant une étymologie arabe à une sonorité bien française.