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Vincent Jarrousseau
Dans les âmes et les urnes.
Dix ans à la rencontre de la France qui vote RN.
mardi 1er avril 2025
Le premier reportage photographique de Vincent Jarousseau « l’illusion nationale » est paru en février 2017, un « documentaire historique dans lequel rien n’est inventé et où tout est vrai » selon les auteurs. Elle et il tentaient de comprendre l’élection de maires FN dans les trois villes de Beaucaire (30), Hénin-Baumont (62) et Hayange (57).
Il leur fallait rencontrer, connaître et échanger longuement avec les électeurs et électrices afin de comprendre ce qu’ils vivaient et ce qui avait motivé leurs votes. Elles et ils ont été photographiés dans leur vie quotidienne et les propos rapportés ont tous été prononcés.
Le travail s’est poursuivi à Denain (59) dans la circonscription de Sébastien Chenu. « Les racines de la colère » est publié mars 2019. Après la COVID, le nouvel ouvrage « Les femmes du lien » nous dévoilera la « vraie vie des travailleuses essentielles » .
L’ouvrage « Dans les âmes et les urnes » se présente comme le récit de ces dix années au cours desquelles Vincent Jarousseau a pris le temps de rencontrer, d’écouter et de photographier ces membres des classes populaires laborieuses et oubliées. Un récit situé dans le contexte des consultations électorales et des mouvements sociaux.
Les territoires où vivent celles et ceux qu’ils a rencontrés sont fortement marqués par les délocalisations et la désindustrialisation. Il en découle des taux de chômage et de pauvreté élevés. Ils ont aussi leurs particularités.
A Beaucaire, les travaux agricoles non délocalisables sont accomplis par des travailleuses et des travailleurs faiblement rémunérés. Il s’agit d’une population sud-américaine, immigrée en Espagne puis détachée par des entreprises espagnoles.
A Hayange, le travail transfrontalier divise la population entre ceux qui se déplacent et profitent du haut niveau des salaires luxembourgeois et ceux qui faute de pouvoir se déplacer passent leurs journées dans des lieux vidés par ces déplacements pendulaires. Le territoire ne profite pas des revenus des transfrontaliers qui font leurs achats en dehors.
Dans le Nord et le Pas de Calais, on retrouve cette dynamique de la désindustrialisation et les destins différents de celles et ceux qui peuvent se déplacer et des autres. Celles et ceux qui travaillent sont contraints à de longs déplacements, coûteux lorsqu’ils sont effectués en voiture, chronophages, fatigants en transport en commun.
Un fort ressentiment s’est installé, nourri par la faible rémunération du travail, particulièrement celui du travail féminin quand bien même il a pu être qualifié d’ « essentiel ». Les propos du FN puis RN résonnent alors fortement « nous, on travaille et on vit mal » et « les autres, les cassos, les immigrés ne travaillent pas et on leur donne tout ». Ils redoutent toute augmentation des prélèvements qui même s’ils devaient financer de nouvelles prestations est vue comme les privant d’une part de leur revenu pourtant insuffisant au profit des autres. L’opposition entre « nous » et « eux », entre les Français et les immigrés est très présente dans les propos de ceux qui affichent leur vote RN, mettant en évidence la perte du sentiment de participer à un projet commun.
Le rôle des médias (CNews, C8, l’émission TPMP…) et des réseaux sociaux (Bardella sur Tiktok) est d’autant plus opérant que l’isolement des uns ou la conviction partagée entre collègues ou voisins ne permet aucune distanciation, aucune critique. Ces propos différents plaisent car ils matérialisent aussi une opposition à ce que l’on déteste, le gouvernement et le président Macron. Dans ce contexte, Marine Le Pen apparaît comme l’opposante à ces politiques qui les méprisent.
L’histoire du parti, les condamnations de Jean Marie Le Pen, tout cela est balayé par l’affirmation que Marine serait différente de son père. La dédiabolisation a bien opéré pour la conquête de ces électeurs des milieux paupérisés.
L’auteur s’était proposé de « relier les votes et les vies ». Ce vote pour le RN met en évidence des fractures sociales profondes, sur le travail notamment. Ces électeurs qui cherchent une protection contre l’immigration qu’ils identifient comme une menace sur leur mode de vie se méfient profondément des politiques. Cette adhésion au RN facilitée par l’absence des autres partis consolidée dans certains territoires est de ce fait assez fragile.
Tous les ouvrages mentionnés ont été publiés par les éditions Les Arènes.