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La France, tu l’aimes mais tu la quittes

Enquête sur la diaspora française musulmane

mercredi 19 juin 2024

L’enquête sociologique dont il est rendu compte dans cet ouvrage s’intéresse à ces français et françaises musulmans expatriés. Les universitaires voyant plusieurs de leurs étudiants et étudiantes quitter la France pour débuter leur carrière professionnelle ont voulu tester l’hypothèse d’une fuite de ces jeunes fortement diplômés et fortement discriminés dans l’accès à l’emploi ou dans le déroulement de leur carrière.

Une étude de Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin
Publiée au Seuil en avril 2024

Les questionnaires retournés sont nombreux (plus de 1000 réponses complètes) rendant possible un dépouillement quantitatif puis une étude qualitative à partir de 140 entretiens. Les auteurs assument la non représentativité des répondants. La diffusion du questionnaire sur plusieurs réseaux sociaux exposait à ce biais, dont l’effet a été mesuré grâce à la comparaison du profil des répondants avec les données recueillies par l’enquête « Trajectoires et origines » de l’INED et de l’INSEE(1). Les répondants font état d’une religiosité nettement plus marquée que celle de la population musulmane vivant en France. Leurs réponses n’en sont pas moins pertinentes pour décrire l’islamophobie en vigueur en France, cette forme spécifique du racisme à l’encontre des populations musulmanes ou vues comme telles.

Une population diplômée dont la promotion sociale se vit à l’étranger.

80% des répondants sont diplômés de bac +2 ou plus et 54% ont au moins un diplôme de bac+5. Ils ont généralement une trajectoire scolaire et universitaire brillante mais qu’ils n’ont pas pu rentabiliser dans leur emploi. Difficulté à être embauché ou embauche à un niveau inférieur à leur qualification, plafond de verre dans la progression de carrière, ils se sont heurtés à une discrimination systématique dont près de 90% d’entre eux font état et attribuent à leur religion (87%) et à leurs origines ethniques (73%). Envisager une expatriation a été assez évident de par les stages accomplis à l’étranger au cours de leurs études. Ces séjours ont pu les convaincre qu’ils pourraient vivre dans un environnement où leur religion ne serait plus une source d’étonnement, de questionnement ou de réprobation. Disposant d’un capital social certain, ils ont pu prolonger le parcours migratoire de leur famille dans des conditions matérielles bien plus favorables que celles rencontrées par leurs parents ou aïeux. Leur départ a pu être préparé et la quasi-totalité témoignent d’une insertion professionnelle conforme à leur formation et leur ouvrant des possibilités d’évolution.

Des destinations diverses

Leurs pays d’installation sont variés (du Luxembourg à l’Australie, des pays anglo-saxons aux Emirats arabes unis, en passant par les pays d’origines aussi) et par comparaison avec la répartition des Français établis à l’étranger on constate une surreprésentation des pays à majorité musulmane, en lien avec leurs origines familiales et leur désir de pratiquer plus ouvertement leur religion.
Le racisme est-il moins présent dans ces pays de destination qu’en France ? Ils apprécient généralement que la diversité religieuse y soit plus admise et que des pratiques alimentaires spécifiques ou le port de vêtements religieux soient devenus naturels, comme ils apprécient la possibilité de prier sur leur lieu de travail. Accédant à une classe sociale supérieure, ils vivent dans des quartiers protégés et ne sont plus exposés à la discrimination liée au lieu d’habitat. Perçus comme Français, ils sont aussi à l’abri de l’expression du racisme qui peut sévir dans leur nouveau lieu de vie.

Un lien ambivalent avec la France

L’expatriation les a soulagés de l’expression de « l’islamophobie d’atmosphère » véhiculée en premier lieu par les médias et certains personnages politiques. Elle les a soulagés aussi des microagressions ; par exemple la question « d’où viens-tu ? » perçue en France comme mettant en cause leur francité est reçue à l’étranger comme une marque d’intérêt ; et la réponse « je suis français.e » n’est pas contestée. La plupart n’envisagent pas de retour en France, sinon pour des visites familiales ou amicales, mais se perçoivent enfin français. Ils sont reconnaissants envers le système social français, notamment l’accès gratuit à la santé et à l’éducation.
La situation est donc pour plusieurs d’entre eux un véritable gâchis : la France a investi dans leur éducation et eux-mêmes peuvent enfin se sentir français.e seulement après avoir quitté leur pays.
L’ampleur du phénomène est difficile à chiffrer. Mais les auteurs pointent la jeunesse des répondants, généralement trentenaires. Il pourrait s’agir d’une démarche susceptible de s’amplifier dans la période à venir.

Même consacrée à un public spécifique, cette étude est de celles dont nous avons besoin. Elle éclaire comment l’instrumentalisation politique et médiatique de la laïcité et le passé colonial de notre pays sont sources d’une islamophobie brutalement ressentie par une partie de la population française.

(1) Les premiers résultats de TeO2 ont été rendus publics en juillet 2022 ; voir par exemple les articles du Monde 5 et 6 juillet 2022.

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