Mouvement contre le Racisme
et pour l’Amitié entre les Peuples

Comité local de Moselle Ouest, 16 rue Vandernoot, 57000 Metz
07 65 77 56 25 mrap.moselle@wanadoo.fr
Facebook MRAP Moselle Ouest Instagram mrap-metz

Accueil > Le MRAP a lu > Sensible

Sensible

samedi 1er juillet 2023

De Nedjma Kacimi
Paru aux éditions Cambourakis, août 2021

Nedjma Kacimi est née en Algérie en 1969 de mère française et de père algérien. Elle a vécu trois ans en Algérie avant de rejoindre avec ses parents la France. Elle vit actuellement à Zurich. « Sensible » est son premier livre.

Pour commémorer les soixante ans de l’indépendance de l’Algérie, l’auteure évoque en 49 courts chapitres, dans une langue souvent drôle, tendre mais aussi crue, percutante, l’Histoire collective et son histoire individuelle.
L’Histoire collective est celle de l’Algérie, de la guerre d’indépendance et, surtout, de l’après-guerre, vue à travers différents groupes qui se retrouvent en France : Algériens, pieds-noirs, soldats français, harkis, tous souffrant d’expériences douloureuses mal digérées, car mal connues, de blessures liées à l’histoire de cette immigration que les enfants des générations suivantes peuvent ressentir. Elle dissèque le rapport schizophrénique que la France entretient avec ce peuple qu’elle a considéré pendant plus d’un siècle comme faisant partie de sa famille, lui imposant même ses missions les plus lourdes : soldats pendant les deux guerres mondiales, et main d’œuvre ensuite.

L’histoire individuelle est celle de la narratrice qui parle en son propre nom : fille d’un père algérien et d’une mère française, venue en France à l’âge de trois ans, elle a grandi dans une petite ville de province, à Belley, dans l’Ain. Si son enfance a été marquée par l’absence de tout sentiment d’appartenance à un groupe ethnique défini – « dans mon enfance, je n’étais pas une Arabe » –, elle découvre la différence plus tard, quand elle est étudiante, au prix de vexations et humiliations.

« Sensible » rend hommage à celles et ceux qui, de chaque côté de la Méditerranée, ont lutté contre les discriminations et injustices dans le passé et l’ont accompagnée dans son cheminement : Simone Veil, Noël Favrelière et sa mère Aimée, Maurice Audin.

Nedjma Kacimi montre aussi le rôle qu’ont joué les écrivains pour révéler les conflits enracinés dans le passé colonial et la guerre d’indépendance, souvent tus ou niés dans la mémoire publique ou individuelle : « des Hommes » de Laurent Mauvignier, lui fait comprendre qu’elle est une enfant de l’après-guerre à travers le suicide du père d’une amie d’enfance, ancien soldat français ayant fait la guerre d’Algérie, donc algérien ; « Meursault, contre-enquête » de Kamel Daoud, grâce auquel elle a réalisé pour la première fois que l’Arabe tué dans « L’Étranger » n’avait « pas de nom ni de prénom, pas d’identité » ; « L’Art de perdre » d’Alice Zeniter fait comprendre que rien n’a changé entre la deuxième génération des « ressortissants français, jamais suffisamment français » et la troisième.

A travers son écriture qui joue le rôle d’« une chirurgie réparatrice », Nedjma Kacimi tente, sans pouvoir effacer les cicatrices de « ce passé qui ne passe pas », de restaurer l’histoire de celles et ceux qui ont vécu ces blessures et d’encourager la jeunesse à s’extraire des clivages ethniques. Sensible explore le racisme systémique en France, c’est un cri de révolte au nom de la jeunesse française actuelle dont la seule couleur de peau suffit à déchaîner une « violence institutionnelle dont on a peu d’idée ». Elle s’adresse dans un « refrain » à cette « jeunesse sans voix », meurtrie et stigmatisée. Trois fois, elle conjure les « chers cœurs sensibles » de rester patients, et les nomme par leurs prénoms à sonorité majoritairement arabe. La quatrième fois qu’apparaît le « refrain », à la fin du livre, la liste s’enrichit de prénoms à sonorité française et la « patience » fait place au « courage », message de solidarité et d’encouragement adressé à la jeunesse.

[(REM) vim: ts=4 ai ]